Mes Trente Furieuses. Extrait
"Mes Trente Furieuses"
Les hommes naissent ignorants
et non stupides,
c’est l’éducation
qui les rend stupides.
1970/2000
L’Intro
Ai-je bien commencé ma vie professionnelle ?
Il m’est aujourd’hui impossible de répondre à cette interrogation. J’ai toutefois deux certitudes. La première : J’ai trop bien obéi à ma mère, et la seconde : Ma trop bonne éducation m’a desservi. La seconde certitude confirme la première. On ne devrait jamais écouter ses parents !
Je n’ai pas calculé à la fin de ces années soixante, les entretiens privés interro-négatifs auxquels j’étais convié, un soir sur deux par ma chère mère avant de monter me coucher. Dommage !
Car si je les avais comptabilisés, j’aurai à coup sur ma place dans le Guinness des records !
Ecouter, feindre d’entendre, telle était ma stratégie chaque soir avant de rejoindre ma chambre. L’étudiant si bien élevé issu des années soixante huit se devait de répondre aux questions récurrentes telles :
– Tu montes te coucher maintenant Hercule ?
– Oui maman
– Tu as réfléchi à ce que je t’ai dit hier soir à propos de ton oncle qui pourrait t’aider dans ta recherche de travail après tes examens ?
- Hum… humm… oui, oui… On en reparlera demain soir, je suis fatigué, maman.
En réalité, à chacune de ces questions mon stress monte d’un cran, et je ne me souviens plus des dernières propositions de ma chère mère. A l’évidence, je veux quitter le cocon familial le plus rapidement possible, telle est mon obsession, je désire prendre mon indépendance. Mais, à vingt trois ans, et après treize mois d’un service militaire, mal vécu, au nord de la France, et en poche, un simple diplôme de droit, je dois composer avec l’autorité détentrice de la finance : Les parents !
Ce jeudi 15 septembre 1969, après cette centième proposition de madame mère, à laquelle j’ai répondu favorablement pour lui faire plaisir, je suis Furieux ! Furieux contre moi-même, car j’ai été incapable de répondre : « Maman, STOP, j’ai l’age de prendre mes décisions ». Trois mois plus tard je serai stagiaire dans une compagnie d’assurance et Maman sera satisfaite. Ma mère sera beaucoup plus discrète sur le choix de mes petites amies, ouf !!
Le stage durera un an à Paris
Cinq ans plus tard, ce sera une autre proposition, cette fois, issue d’un opportuniste de la famille, ce dernier, toujours prêt à « m’épauler », m’invitera à signer un contrat de travail mirobolant pour une collaboration au sein de son cabinet d’assurance.
Pour la seconde fois, ce jour là, je serai Furieux, et pourtant je venais enfin de prendre une décision, que je pensais favorable à mes intérêts… tout en sachant pertinemment que, le travail en famille est source inévitable de conflits. Je feignais l’ignorer.
La collaboration avec l’opportuniste durera un quinquennat. Un enfer ! C’est un ami de la famille qui me tirera de cette impasse. Enfin je le pensais.
Débarrassé de l’opportuniste, grâce aux bons conseils de cet ami avec lequel j’étais vaguement apparenté, je m’égarais dans une association périlleuse et bancale.
Un soir de novembre, en sortant de l’étude d’un notaire havrais, à la réputation douteuse, et ne parlons pas ici de son honnêteté, une fois de plus j’étais Furieux. Avec ce vague ami, celui qui deviendra plus tard mon associé, borgne ivrogne et fainéant, nous venions de signer notre pré-contrat d’association et je réalisais, comme toujours un peu trop tard ….que je me fourvoyais dans une voie suicidaire.
J’étais Furieux contre mon futur associé, complice bien évidemment du notaire, et Furieux contre moi- même, mais j’étais bien incapable de faire marche arrière.
Une fois encore, j’avais pris la mauvaise décision. Je n’avais pas osé dire Non, au risque de froisser ma famille (!) car j’étais plus ou moins apparenté avec cette relation douteuse !
Par chance, si l’on peut dire, après un purgatoire de onze mois d’association, des amis de l’éthylo- paresseux, qui avaient compris que cette situation ubuesque ne pouvait durer, vinrent à mon secours.
Je les croyais honnêtes.
L’un d’eux, un sage issu de la promotion « Moi d’abord » s’intéressa de près à mon cas ; cet analyste des causes désespérées comprit très vite tout l’intérêt qu’il avait à me donner mon indépendance, et à faire de moi le patron de ma petite entreprise ! Grâce à lui, en cette année 1980 je dénonçais l’association, et je devenais un travailleur indépendant à part entière !
J’étais heureux !!
Les vacances d’hiver de monsieur « Moi d’Abord » étant une priorité, ce dernier s’absentait malheureusement quelques jours avant Noël, soit huit jours avant ma prise de fonction dans ma nouvelle agence d’assurance située en Normandie. Pour combler son absence, il déléguait, un sous-fifre, bien peu scrupuleux, avec lequel je devais créer ma petite entreprise selon des critères proches de ceux des jeux du hasard, ce qui veut dire objectivement sans aucun sérieux !
Ainsi, un soir de décembre 1980, lors d’un cocktail à la Celle Saint-Cloud, chez mon ami Paul-Henri, ce dernier un verre de champagne à la main, m’a félicité pour mon audace dans les affaires.
J’ai cru m’étouffer.
Je lui ai alors confié au creux de l’oreille : Paul-Henri, je suis Furieux, oui je suis trois fois Furieux.
P.H. n’a pas vu ma mine déconfite ce soir de fête, je ne lui en veux pas, il y a prescription, et je devais bien cacher mon jeu !
Les deux larrons chargés de mon installation de nouvel agent d’assurance en Normandie, je veux parler de Monsieur « Moi d’abord » et son sous- fifre, eux m’ont bien vite oublié, bénéficiant l’un d’une préretraite dorée et le second d’une promotion étonnante pour un si petit esprit. La toute puissante société qui les embauchait et dont bien malheureusement, je n’étais qu’un modeste mandataire de province, cajolait ses salariés et avait bien peu de considération pour les petits agents de ma trempe.
Ma trop bonne éducation me reléguait au rang des humbles et enthousiastes en toutes circonstances, ainsi face à ces hommes de pouvoir, je veux parler des innombrables inspecteurs du « Château » qui défilèrent dans mon agence, je commençais toujours mes phrases, un large sourire aux lèvres, par :
« Pensez-vous qu’il serait bien de… »
Après sept ans de pouvoir (mieux que le quinquennat précédent, mais à quel prix), de drôles de messieurs avec de drôles de moustaches s’invitèrent la veille de Noël, pour contrôler la gestion de mes affaires. Bien qu’ils ne soient pas venus du siège avec leur confessionnal, je dus m’accuser face à eux de toutes sortes de petits larcins dont j’ignorais l’existence jusqu’à
Les moustachus, tous les mêmes !
Au fil des heures, les petits larcins bien pardonnables qu’ils relevaient dans ma comptabilité, devenaient, des délits, pour terminer, quelques heures avant l’arrivée du petit Jésus, en forfaits habilement orchestrés !! On appelle cela en droit : crime avec préméditation !
Cette veille de fêtes, les Laurel et Hardy de la division comptable du château, s’en tinrent à de généreux conseils susceptibles d’améliorer la gestion de mes affaires pour les années à venir.
Cette année 1986, une fois encore, je ruminais dans mon coin le soir de la saint Sylvestre :
Je suis Furieux, je suis Furieux, je suis Furieux !
Fort des bons conseils prodigués par ces deux guestapistes, je décidais enfin, de tourner la page des affaires, rendant mon tablier (n’ayant jamais eu le compas dans l’œil..) de petit patron à qui de droit. Cela ne m’empêcha pas, malgré ce vœu pieux, deux mois après cet échec retentissant dont je paie encore les pots cassés en 2010, de m’associer avec deux zozos, aussi candides que moi, pour créer des services à la personne.
Là, je le reconnais, pour cet épisode, je n’ai même plus le droit d’être Furieux ! C’était de l’inconscience.
En effet, en toute connaissance, je m’associais avec deux personnes dont j’ignorais tout, du passé, de la formation, de l’expérience professionnelle, tout, tout… je renouais avec un système qui avait bien failli me coûter la vie, celui de l’association (avec l’ethylo-assureur), et puis en toute simplicité, je prétendais créer un secteur d’activité (rien que ça !) qui demandait un investissement financier important et… bien sûr, je n’avais pas le premier centime. Je m’en veux furieusement de ne pas avoir ouvert les yeux à temps.
A ma décharge, je le précise pour ceux qui ne connaissent pas la région Normande, à cette époque de l’année, on navigue ici, dans le brouillard le plus complet du matin au soir, et il est bien difficile de se repérer.
Et pourtant, et pourtant.
L’année suivante sera pire, avec la rencontre d’un nabot, pas forcément malhonnête, et son mentor, un détraqué, tout juste bon à vendre des aspirateurs dans les cités ouvrières. L’un et l’autre m’ont suffisamment flatté pour que je pense, l’espace d’un été, que mes valeurs de gestionnaire étaient mal exploitées.
Le bagout de ces deux zèbres devait me propulser en moins de trois mois dans la plus profonde faillite personnelle (en droit : la déconfiture !) et une fois de plus, je passais la fin de l’année dans la tourmente, ruiné, à sec, et pire encore, endetté. Cette nuit de la Saint Sylvestre 1987, je m’octroyais l’autorisation d’être totalement Furieux, et cela me convenait.
Je devais attendre le printemps suivant, et le coup de téléphone d’un bienfaiteur (enfin je le pensais bienfaiteur) pour me refaire une santé.
Notre première rencontre, le bienfaiteur et moi, fut conventionnelle, elle se déroulait dans des bureaux classiques et surchauffés.
Ce soir du mois d’avril, je suis inconfortablement installé dans un fauteuil en cuir noir trop bas pour que je puisse croiser les jambes, avec en mire, la grosse paire de cuisses de la charmante et imposante femme du bienfaiteur !
Enfin, oui enfin, après sept années de vaches maigres, je signais un contrat alléchant. Après une heure et demie d’entretien je devenais ce soir-là, Directeur de Franchise ! Je rentrais au domicile familial fier comme un paon, persuadé que mon village enfin me respecterait.
Bien éphémère temps du respect qui s’achevait chaque soir, à l’heure où le sommeil se refuse, par l’arrivée de cars entiers peuplés d’huissiers perfides ! Telles étaient les nuits d’un homme respecté le jour...
En moins de six mois, le très estimable directeur de la Franchise, devint le Président de l’entreprise ! Cette nouvelle promotion embarrassante, que je devais cacher aux hommes aux papiers bleus (comprenez mes huissiers) , ressemblait à un siège éjectable dont on m’avait confié les manettes ! Drame. Et une fois de plus, lorsque le bienfaiteur et sa femme aux cuisses de charcutière, décidèrent de reprendre les rênes de leur entreprise familiale, je leur remettais les clés de la maison en m’excusant.
Quelle éducation !
Ce jour là, je n’étais pas Furieux, tout juste inquiet, mais en revanche, ma famille était furieuse. Et je n’ose parler ici de la ribambelle d’huissiers qui voyait s’envoler la (petite) pompe à fric.
Un semestre plus tard, c’était le temps des vacances, des fêtes en Bretagne, des marches en montagne, de l’insouciance. Dans mon entourage j’entendais chuchoter : Ta rentrée sera chaude mon pauvre vieux !
Et pourtant il n’en sera rien.
Dieu soit loué !
Grâce aux bonnes relations que j’avais gardées avec une « franchisée » de ma précédente entreprise, je prenais contact avec une société de publicité basée en région parisienne, qui m’embaucha illico presto, m’octroyant même une confortable prime de bienvenue !
Vous pensez bien que mes perfides schtroumfs, mes huissiers locaux, au teint décoloré par leurs papiers bleus, pliés dans le sens de la longueur, n’en surent rien. D’ailleurs ils commençaient à prendre des distances avec mes petites affaires, avant que je tente de les semer en m’installant dans le Midi.
On peut toujours rêver.
Enfin, je passais un Noël et un trente et un décembre en paix. Pas Furieux. Etonnant ce retournement de situation ? Pas tout à fait, car le double salaire ne devait durer que trois mois, et mon avenir dans l’entreprise était conditionné à toutes sortes de contraintes humiliantes. L’ex-PDG déjà bien rabaissé, devenait dans le plus mauvais des cas, un laveur de carreaux, et dans le meilleur, un sous commercial besogneux.
J’étais blindé, enfin je le pensais, (encore une fois) car depuis quinze ans, je gobais des couleuvres entières, alors… en avaler quelques-unes en plus, cela ne me perturbait pas. Innocent, je n’imaginais pas que la « furibonderie » viendrait à juste titre de ma famille.
Pour une femme artiste, la mienne, qui déniche enfin une clientèle fidèle, aisée et bien sûr grand amateur d’art en Normandie, les fantaisies d’un visseur-dévisseur plus ou moins commercial, installé dans le midi de la France, qui au surplus demandait avec insistance la descente au soleil de toute la famille, ce comportement la rendait furibonde. Abandonner une grande maison, et surtout son atelier d’artiste, pour un appartement dans une mégapole dangereuse, inscrire les enfants dans des lycées-collèges à la réputation douteuse, tout cela lui paraissait insensé.
Elle était furieuse !
Notre premier Jour de l’An dans le Sud, nous le passions chez un double mètre attachant, qui mettait toute sa molle énergie à démystifier les horreurs du sud.
Après quelques mois d’adaptation sur la Côte, notre nouvelle petite entreprise familiale tournicotait tant bien que mal, quand de grandes manœuvres commerciales vinrent perturber tout un petit monde de salariés dont je faisais partie. Un petit monde attaché au travail bien fait, dévoué sans réserve et souvent récompensé à juste titre pour les services rendus.
Un peu moins naïf que mes petits camarades de travail – pour une fois – je comprenais rapidement que ces grandes manœuvres collaient avec : Retour obligé sur investissements. Nous étions en 2000, les fonds de pensions investis dans notre société, comme dans tant d’autres à cette époque, devaient rapporter un maximum d’argent.
Etait-ce nouveau ? Était-ce nouveau…. ?
Dans ces proportions, oui, certainement.
La suite de ces grandes combines eurent un effet déplorable sur la PME qui m’embauchait. La tourmente dans laquelle nous nous trouvions annihilait nos personnalités. Ma légendaire bonne éducation n’était plus un obstacle car je devenais un pion, un automate suspect, comme tous les employés du nouveau groupe qui nous dirigeait. Suspect au travail, suspect d’avoir des idées, suspect lorsque je parlais à Pierre ou à Paul, tout simplement suspect d’exister.
Personne n’échappe à la dictature de la rentabilité, elle est implacable, dévastatrice, ravageuse, et surtout nuisible pour le personnel en place.
Personne n’y échappe ?
Si l’ensemble du personnel « terrain », était contraint d’obéir sans comprendre, et surtout sans poser de question, si nos petits salaires étaient dévalués (il existe une multitude de possibilités pour baisser légalement le revenu d’un salarié) il restait une petite bande d’irresponsables au siège de l’entreprise, prêts à tout pour gagner plus en travaillant moins…
Ce clan des minables en cols blancs, au passé douteux et sans culture, me donnait une dernière fois l’occasion d’être Furieux !
Ces commissionnaires de bas étages aux comportements pitoyables, mandataires de nos sacro- saints investisseurs étrangers, réussirent en moins de deux ans, à transformer ce mini empire de la Pub, en un vaisseau fantôme.
Au passage, ces bons « messieurs-dames » usurpateurs et sans scrupule, s’accordèrent de très substantielles primes en tout genre, tout en réduisant très substantiellement nos revenus. Les banquiers fermeront les yeux sur la comptabilité opaque de notre entreprise jusqu’à la dernière minute. Etonnant ? On peut se poser la question. Alors que… le navire prenait l’eau de toute part, une exorbitante cagnotte se constituait aux fins d’indemniser le clan des minables en cas de fermeture anticipée.
Ce qui arriva !
Hier, à juste titre, j’étais fou Furieux contre ces petits maquereaux de l’entreprise, aujourd’hui je m’en fous.